Au Sénégal, la Cour constitutionnelle sénégalaise a invalidé jeudi 15 février le report de la présidentielle du 25 février au 15 décembre, plongeant dans l’inconnu le pays en proie à l’une de ses plus graves crises politiques depuis des décennies.
L’instance a jugé que le texte de loi adopté par le Parlement pour reporter l’élection présidentielle, qui devait initialement se tenir le 25 février, viole la Constitution et doit être annulé.
Le Conseil constitutionnel a par ailleurs annulé le décret du président Sall qui, trois semaines seulement avant l’échéance, modifiait de facto le calendrier électoral.
Elle constate “l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue” du 25 février, compte tenu du retard pris par le processus, et “invite les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais”.
L’annulation du processus électoral par le président Macky Sall, puis son report au 15 décembre par l’Assemblée nationale, a suscité une onde de choc dans le pays. Cette annonce a provoqué la colère de nombreux Sénégalais, qui ont dénoncé une violation de la Constitution permettant au président de se maintenir au pouvoir.
L’ajournement a suscité des manifestations à la suite desquelles trois personnes ont été tuées et des dizaines arrêtées. Des partenaires importants du Sénégal, inquiets du risque de violence, ont appelé le gouvernement à tenir l’élection le plus rapidement possible.
“C’est une décision qui remet le Sénégal dans sa trajectoire normale. Je ne suis pas surprise parce que c’était trop gros tout ce qu’il se passait”, a déclaré à l’AFP l’ancienne Première ministre Aminata Touré, qui a rejoint les rangs de l’opposition.
“Nous constatons que le droit a été dit”, a de son côté réagi Déthié Fall, un autre opposant candidat à la présidentielle qui s’est dit “heureux” de la décision.
De nouveaux appels à manifester contre le report ont été lancés pour vendredi. Une marche organisée par un collectif de la société civile est aussi prévue samedi.
Devant la contestation, le président Sall a exprimé sa volonté de trouver les voies de l'”apaisement”.
Des candidats “éliminés” de la course
Le report de l’élection était intervenu après l’ouverture d’une enquête parlementaire pour faire la lumière sur les conditions d’élimination de certains candidats. À l’origine de cette démarche, les soutiens de Karim Wade – dont la candidature a été invalidée car il possédait la nationalité française –, disaient suspecter deux juges du Conseil constitutionnel de corruption.
En parallèle, une autre candidate, Rose Wardini, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel, avait été placée en garde à vue pour “faux et usage de faux et escroquerie au jugement”, suspectée d’avoir elle aussi la double nationalité franco-sénégalaise.
Le président Macky Sall avait jugé ces éléments suffisamment graves pour interrompre la tenue de l’élection. “Ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en instaurant les germes d’un contentieux pré et post-électoral”.
En réaction, l’opposition avait fustigé une manœuvre destinée à torpiller la présidentielle et éviter la défaite du candidat de la majorité, Amadou Ba, contesté dans son propre camp.
Libération d’opposants
Jeudi, plusieurs opposants détenus ont été libérés, alors que le président fait face à la pression d’importants partenaires internationaux, de l’opposition et de la société civile, critiques du report de l’élection.
“La plupart de mes clients dans les dossiers montés pour des considérations politiques sont libérés”, a indiqué à l’AFP Me Cheikh Koureissy Bâ, assurant que cette situation concernait plusieurs dizaines de détenus.
Sur une liste de plusieurs d’entre eux donnée à l’AFP par Me Moussa Sarr figurent notamment Aliou Sané, coordinateur du mouvement citoyen “Y’en a marre”, Djamil Sané, maire d’une commune de Dakar, et plusieurs membres de l’ex-parti d’opposition Pastef de la figure de l’opposition, Ousmane Sonko.
“La pression internationale fait que le président Macky Sall ordonne des libérations”, a commenté pour l’AFP Souleymane Djim, membre du Collectif des familles de détenus politiques, qui confirme également que des libérations sont en cours.
L’un des principaux candidats annoncés à la présidentielle de 2024, Ousmane Sonko, mais aussi son second à la tête du parti Pastef dissous, Bassirou Diomaye Faye, sont détenus depuis 2023. Aucune information ne fait état pour l’heure de leur éventuelle libération.
Depuis le début de la semaine, le monde politique bruissait de la possibilité d’une amnistie susceptible d’être discutée en conseil des ministres, mais aucune annonce allant en ce sens n’a été faite.
Plusieurs centaines de membres de l’opposition, plus d’un millier selon certaines organisations de défense des droits humains, ont été arrêtés depuis 2021 et la lutte de pouvoir qui oppose Ousmane Sonko, mis en cause dans plusieurs procédures judiciaires, et le président Macky Sall.
Avec AFP